RÉVOCATION DE KHALIFA

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La révocation du maire de Dakar, Khalifa Sall, par décret présidentiel, vendredi 31 août, préoccupe la société civile.

Suite à la confirmation de la condamnation du désormais ex-maire de Dakar, M. Khalifa Ababacar Sall par la Cour d’Appel, le Président Macky Sall a pris un décret portant révocation de la mairie de Dakar, en prison depuis le 07 mars 2017…

Cette décision légale, du point de vue juridique, a pourtant suscité un vif débat, du fait d’un traitement médiatique où l’émotionnel l’a largement emporté sur le factuel. De pseudos analystes politiques ont crié au scandale au lieu de faire parler les hommes de droit, capables d’analyser le décret présidentiel sous l’angle juridique.

Certains titres de la presse écrite reprenaient In extenso les slogans et autres diatribes des militants et sympathisants khalifistes et se les approprient. Pourtant, les spécialistes du droit, à l’instar du professeur agrégé de droit, Jean-Louis Corréa et du Forum du justiciable, qui ne sont pas tendres avec le régime du Président Macky Sall, analysant la décision présidentielle avouent sans ambages que : « Le décret n’est pas illégal. De toute façon, le Code général des Collectivités Territoriales, comme on l’a bien mentionné dans le décret, permet au président de la République, dans des cas pareils, de révoquer un maire…».

C’est le 30 mars 2018 que la Chambre correctionnelle spéciale du Tribunal de Grande Instance de Dakar a rendu public son verdict sur l’affaire Khalifa Ababacar Sall et Cie, le condamnant à 5 ans d’emprisonnement ferme et 5 millions de FCFA d’amende.

Les délits dont il serait coupable sont les suivants : faux et usage de faux en écriture de commerce, faux et usage de faux dans les documents administratifs et escroquerie portant sur les deniers publics. Le désormais ex maire de Dakar avait saisi la Cour d’Appel de Dakar, espérant obtenir un verdict plus clément.

Le jeudi 30 août 2018, la Cour confirme l’emprisonnement de 5 ans ferme à l’encontre de Khalifa Ababacar Sall, mais en corsant l’amende qui passe de 5 millions, à 1.830 millions de FCFA. Le jour suivant, le président de la République, M. Macky Sall prend un décret révoquant M. Khalifa Ababacar Sall de ses fonctions de maire de Dakar, conformément aux prérogatives que lui confère la loi.

Le code général des collectivités territoriales (CGCT) évoque, en son article 135 pour la révocation des maires et adjoints, une simple condamnation et non une condamnation définitive, comme c’est le cas pour la révocation d’un député où le Règlement intérieur de l’institution exige nommément « la condamnation définitive du député pour être révocable ».

Et que le pourvoi en cassation formé ne constitue pas un obstacle à l’application des articles 135 et 140 du CGCT. Les spécialistes du droit précisent que : « La Cour suprême n’est pas juge des faits tels qu’ils ont été qualifiés par la Cour d’appel. Elle ne revient que sur l’application du droit aux faits tel qu’ils ont été établis et qualifiés. En conséquence, les faits prévus à l’article 140 sont définitivement constitués et qualifiés et peuvent bien servir de fondement à l’application de l’article 135 du CGCT ».

Ils ajoutent que : « Dans la mise en œuvre de sa mission de veiller au bon fonctionnement des collectivités territoriales, le pouvoir exécutif aurait pu suspendre le maire dès le déclenchement des poursuites et procéder à sa révocation dès sa condamnation en première instance. À ce niveau, il convient de spécifier la sanction administrative qui ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires (article 140 du CGCT)», soulignent-ils.

Il est évident à cet égard, qu’un maire doublement condamné et qui reste durablement en prison n’a plus la capacité juridique, la disponibilité physique et l’autorité morale pour administrer une ville comme Dakar. L’exécutif veille donc avec ce décret, au bon fonctionnement du Conseil de la ville pour l’intérêt supérieur des administrés.

Au Tchad et plus précisément à N’Djamena, le maire Mariam Djimet Ibet et ses deux adjoints viennent d’être suspendus, suite à un contrôle de l’inspection générale d’État. En effet, beaucoup d’anomalies ont été notées dans la gestion de la commune depuis plusieurs mois. Le contrôle effectué au sein de la mairie révèlent de graves fautes de gestion qui se déclinent en un cycle de recrutements massifs et fantaisistes qui ont fait grimper la masse salariale, des attributions de places publiques, à l’image d’une aire de jeux sur la place de la Nation au cœur de la capitale ou encore des pans du marché central cédés à des acquéreurs privés.

En Côte d’Ivoire, M. Akossi Bendjo, maire de la commune abidjanaise du Plateau, le quartier des affaires, vient d’être révoqué de ses fonctions par le Conseil des Ministres ivoirien depuis le 1er août 2018 pour « grave déviation dans la gestion (communale) et faux en écriture publique », constatés suite à un contrôle d’État. L’ex maire du Plateau ne pourra pas, non plus, être candidat à sa succession en novembre prochain.

Au Sénégal, sous le régime socialiste, l’un des mentors de Khalifa Ababacar Sall, l’ancien maire de Dakar, Lamine Diack fut débarqué de la mairie en 1980, par décret présidentiel, pour « mauvaise gestion financière ». En avril 1987, le maire de Rufisque-Bargny, Mamadou Cora Fall fut révoqué de la mairie par décret N° 87/425 du 7 avril 1987, signé par le président de la République, le socialiste Abdou Diouf.

En octobre 2008, le maire des Parcelles Assainies, M. Mbaye Ndiaye est révoqué de la mairie par décret du président de la République, signé par le libéral Me Abdoulaye Wade pour « vente illicite de terrains, attribution de mandats fictifs, contrats de complaisance, etc. ».

Aucun de ces maires, hormis Khalifa Ababacar Sall n’a été condamné ni même jugé avant d’être révoqué de ses fonctions ! Pourquoi alors, un tel tollé suite à la révocation, juridiquement justifiée, du maire de Dakar ?

Il y a d’abord que les mairies en Afrique, sont souvent utilisées comme des tremplins vers le pouvoir suprême ou des moyens d’enrichissement et d’achat de courtisans, prêts à mourir pour la défense des intérêts crypto-personnels du maire providentiel.

Pour le cas de Khalifa, la pratique d’achat de consciences sautait aux yeux. La preuve : lors de son procès, il a catégoriquement refusé de dévoiler les noms des bénéficiaires des 30 millions de FCFA, qu’il subtilisait mensuellement du trésor public via de fausses factures et d’achat fictif de denrées de première nécessité.

Aujourd’hui, la plupart de ces bénéficiaires se sont transformés en défenseurs des droits de l’homme ou agitateurs pour rendre la monnaie de la pièce au mécène d’hier. D’ailleurs, l’ancien maire de Dakar n’y va pas par quatre chemins : la majorité des bénéficiaires de ce qu’il appelait bizarrement « fonds politiques » sont des hommes ou femmes politiques, des journalistes, marabouts et non des nécessiteux qui méritaient plus d’être aidés.

L’absence ou quelques fois, la mauvaise communication faite autour du procès, ont permis aux souteneurs intéressés de Khalifa d’accréditer la thèse de la victimisation dont se prévalait Khalifa Sall. Ces avocats, ayant très vite compris que le dossier était juridiquement défendable, se sont réfugiés à la stratégie alternée du boycott et de la politisation.

La double candidature prématurée de l’ex-maire, aux législatives et à la présidentielle, entrait dans cette logique de politisation du dossier. Le délinquant devient un candidat victime de l’acharnement de ses adversaires au pouvoir.

L’opinion publique, manipulée par une presse grassement rémunérée, n’a pas hésité à mordre à l’hameçon. Il en était ainsi du cas de l’ex-ministre d’État, fils de l’ancien président de la République Karim Meïssa Wade, jugé et condamné pour enrichissement illicite.

Il faut dire que les autorités politiques en Afrique, sous-estiment l’impact de la communication sur les grandes décisions à caractère sensationnel. Pour le cas de la révocation de l’ancien maire Khalifa Ababacar Sall, l’annonce de la décision présidentielle aurait dû être accompagnée par une conférence de presse conjointe, impliquant notamment tous les départements ministériels concernés. Elle aurait permis aux journalistes, peu initiés aux questions juridiques, d’avoir des éclaircissements sur les tenants et les aboutissants de la décision administrative, pour éviter, enfin, de tomber dans un traitement émotionnel de l’évènement. Certains journaux avaient titré « Enième Jaay Doolé » (Coup de force), « Un décret manifestement illégal », etc.

Il faut cependant saluer, le courage et l’honnêteté intellectuelle du Forum du Justiciable et de son coordonnateur Boubacar Ba, qui après avoir condamné publiquement le décret de révocation du maire de Dakar, publie hier un communiqué rectificatif en ces termes :

« Le Forum du Justiciable, après une analyse approfondie des dispositions des articles 135 et 140 du Code général des collectivités locales, révèle que la décision du Président de la République portant révocation du maire de la ville de Dakar ne viole ni la présomption d’innocence du maire Khalifa SALL ni le caractère suspensif du pourvoi en cassation prévu par l’article 36 alinéa 4 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 portant organisation de la Cour suprême. La décision du Président de la République reste conforme aux textes de loi. La révocation dont il s’agit, est une sanction purement administrative qui ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires et, elle n’est subordonnée ni à une condamnation simple ni à une condamnation définitive comme certains juristes le pensent.

La décision du Président de la République reste conforme aux textes de loi. Dura lex sed lex : la loi est dure mais c’est la loi », dixit le Forum du Justiciable.

Medianet.sn

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