Souverainete macroeconomique ?

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C’est l’histoire d’une catastrophe annoncée. Dès le 31 décembre prochain, les industries extractives seront à leur tour soumises à la nouvelle réglementation des changes au sein de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC).

Pourtant, cette règle a prouvé sa nocivité dans les autres secteurs de l’économie. Sa mise en œuvre généralisée représente un risque majeur pour la stabilité de la région en faisant peser de lourdes tensions sur un équilibre macroéconomique déjà précaire. Les économies d’Afrique centrale se portent très mal. En juillet, la Banque africaine de Développement (BAD) estimait que le PIB de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) allait se contracter de 2,5% à 4,3%. Des projections qui reflètent certes l’impact du Covid-19, mais aussi l’inadéquation de la politique macro-économique décidée par la BEAC – et donc logiquement par les dirigeants de la région.

L’un des dossiers les plus urgents et évidents concerne la mise en application, dès le 31 décembre 2020 pour les industries extractives, du très obscur et non moins dangereux Règlement N°02/18/CEMAC/UMAC/CM, adopté par la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) en 2018. Cette réglementation vise à réguler le rapatriement des recettes commerciales afin de renforcer les réserves de change de la CEMAC et, par conséquent, le franc CFA d’Afrique centrale (XAF). À très court terme, elle pourrait entraîner des pertes estimées à plusieurs centaines de millions de dollars pour les opérateurs internationaux implantés dans la région.

Plus grave, à moyen terme, c’est l’attractivité même des États d’Afrique centrale qui est en jeu alors même que la compétition n’a jamais été aussi rude dans un contexte économique global tendu. Rappelons à ce titre que lors de son entrée en vigueur en mars 2019, ce Règlement avait provoqué une grave crise des devises dans l’ensemble de la zone de plusieurs mois. Une situation qui avait conduit la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC), en juillet 2019, à accorder un délai supplémentaire aux secteurs économiques cruciaux, au premier rang desquels les industries extractives. Pourquoi est-il si important de reprendre l’initiative et d’annuler le Règlement 02/18 ? Parce que, qu’on le veuille ou non, les matières premières sont encore le sang de nos économies.

En ces temps de crise, l’essentiel est de pouvoir maintenir la solvabilité de l’État et la liquidité du système monétaire. Caractérisée par une forte extraversion économique, l’Afrique Centrale dépend principalement de l’exportation de ses matières premières, qui représentent chaque année autour de 85% des exportations totales de la CEMAC. En première position, le pétrole, qui compte pour près de la moitié des ventes à l’étranger de l’ensemble de la zone, avec une part estimée en 2018 à 50% du produit intérieur brut (PIB) du Congo-Brazzaville, 25% du PIB de la Guinée Équatoriale et 20% du PIB du Gabon ou du Tchad. L’industrie pétrolière est donc un secteur stratégique pour ces économies – secteur dont la devise de référence est le dollar américain (USD), utilisé pour fixer le prix du baril de pétrole, pour financer les projets, les ventes à l’exportation, les achats internationaux de biens et services non disponibles dans les pays d’opérations… De ce fait, les comptes bancaires des compagnies pétrolières sont libellés en USD.

Obligation de convertir en Franc CFA (XAF) tous les revenus perçus en dollars

Or, la nouvelle réglementation implique que les revenus perçus en USD soient convertis et déposés en XAF auprès d’une banque locale. S’ensuit une véritable usine à gaz monétaire dont le seul effet sera d’enrichir les banques locales via les commissions qu’elles vont pouvoir facturer, au détriment des économies nationales. Ainsi, pour toute nouvelle transaction nécessitant un paiement en USD, les sociétés devront s’en procurer sur les marchés de change (si la disponibilité le leur permet), les exposant à un risque de change constant et imprévisible. Outre ces risques, le Règlement N°02/18 pourrait amener à une double violation contractuelle, à la fois des accords de financement standard dans l’industrie et des licences pétrolières existantes. Le sujet est aride mais mérite d’être soigneusement explicité.

Péril pour les sociétés pétrolières et gazières

Les accords de financement dans l’industrie pétrolière sont, pour la plupart, conclus en dollars avec des banques internationales basées en dehors de la zone CEMAC. Ils sont généralement accordés à la condition que le produit des exportations (en USD) soit placé sur des comptes ouverts en dehors de la zone CEMAC, auprès d’une banque internationale, de sorte que ces produits (en USD) puissent ensuite être utilisés pour rembourser les prêts (libellés en USD). Tout manquement à cette condition clé de financement pourrait nécessiter le prépaiement par anticipation de tous les prêts en cours et l’annulation de ces accords de financement. Une situation qui mettrait en péril la liquidité des sociétés pétrolières et gazières sous le coup de tels accords de financement (la majorité) en leur imposant des pertes que certains évaluent à plusieurs centaines de millions de dollars. Ce dernier point fragilise encore l’environnement des affaires auquel sont exposés les investisseurs en Afrique Centrale.

Le nouveau règlement remet indiscutablement en cause l’attractivité globale des économies de la CEMAC, déjà perçues à l’international comme «à risques» d’un point de vue systémique. Alors que les États de la région se mobilisent pour réformer leur environnement juridique, faciliter la conduite des affaires et inciter les investissements étrangers (notamment dans les industries extractives), cette nouvelle réglementation vient détruire des années d’efforts.

En réalité, le règlement n°02/18 reflète la quête illusoire des États de l’Afrique Centrale de renforcer le XAF. En régulant le rapatriement des produits, la CEMAC veut s’assurer de sa solvabilité auprès de ses bailleurs internationaux, parmi lesquels le FMI bien entendu, grâce à un contrôle des capitaux pour une consolidation de ses réserves de change. C’est un raisonnement de créancier, largement inspiré par le FMI, dont le bien-fondé sur le plan macro-économique est questionnable : réduction des investissements étrangers prospectifs ; ralentissement, voire arrêt du réinvestissement par l’industrie pétrolière ; baisse des recettes fiscales étatiques et, partant, de la redistribution des richesses et de l’investissement public ; etc.

 

Dès lors, plutôt que de chercher à soutenir le XAF au détriment des flux d’investissements étrangers et de notre développement, nous devons absolument ré-évaluer la pertinence de cette politique et agir de manière à préserver la stabilité de notre tissu socioéconomique. Les autorités devraient purement et simplement annuler cette réglementation contre-productive, y compris pour ceux qui y sont déjà soumis. Dans le cas contraire, la zone CEMAC, dans son ensemble, va devoir se préparer à un choc économique de grande ampleur au 1er janvier 2021. Il y a de meilleures façons de commencer la nouvelle année.

En régulant le rapatriement des produits, la CEMAC veut s’assurer de sa solvabilité auprès de ses bailleurs internationaux, parmi lesquels le FMI bien entendu, grâce à un contrôle des capitaux pour une consolidation de ses réserves de change. C’est un raisonnement de créancier, largement inspiré par le FMI, dont le bien-fondé sur le plan macro-économique est questionnable : réduction des investissements étrangers prospectifs ; ralentissement, voire arrêt du réinvestissement par l’industrie pétrolière ; baisse des recettes fiscales étatiques et, partant, de la redistribution des richesses et de l’investissement public ; etc.

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