FOCUS SUR LE GOUVERNEUR SORTANT DE LA BCEAO

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Un banquier central gardien de l’orthodoxie

Jugé « discret, compétent, humble et très efficace, à l’image d’un banquier central » par ses partenaires et collaborateurs, le désormais vice-président ivoirien, Tiémoko Meyliet Koné, a maintenu « sur de bons rails » la BCEAO durant les 11 années qu’il a passées à la tête de l’Institution. En revanche, certains déplorent son conservatisme et son « aversion » pour l’inflation.

« Altruiste », « compétent et plein d’humilité », « visionnaire », « clairvoyant ». A l’interne, les témoignages élogieux ne manquent pas à l’endroit du Gouverneur sortant de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). « Il a cette force et cette capacité de s’entourer de collaborateurs très compétents pour l’accompagner dans la mise en œuvre de sa vision », confie un haut cadre de la Banque centrale sous le sceau de l’anonymat. Après plus de 11 ans passés à la tête de la Bceao, Tiémoko Meyliet Koné a été nommé, le 19 avril dernier, vice-président de la Côte d’Ivoire par le président Alassane Ouattara, laissant la Banque centrale sur de « bons rails ».

Le Gouverneur sortant est crédité de plusieurs « initiatives salutaires ». Notamment, il a su mener harmonieusement et efficacement une politique de développement du système bancaire, tout en impulsant la croissance des économies des pays de l’UMOA. Sous son mandat, il a su assurer la stabilité de notre monnaie commune, le franc CFA, la maîtrise de l’inflation, la sécurisation des ressources monétaires et les dépôts de la clientèle.

Le tout dans une parfaite résilience du système bancaire de l’Union.

Pour M. Mamadou Bocar Sy, Président de l’Association professionnelle de banques et établissements financiers du Sénégal (APBEFS) M. Koné a été l’artisan de la modernisation des systèmes et moyens de paiement, et de l’ouverture sur la banque de demain, pour ne citer que cela.

La profession bancaire se félicite notamment des « mesures accommodantes » prises par l’ex-Gouverneur   pour permettre aux banques de faire face aux effets de la Covid-19. « Dans ce contexte incertain, il a été à nos côtés, présent et rassurant, ouvert mais ferme sur les principes en nous demandant de rester debout le temps de la crise pour en faciliter la sortie », a conclut M. Sy, jugeant que la crise a révélé au grand jour « la compétence et la sagesse » du Gouverneur Koné.

La réactivité des mesures d’urgence a permis de fournir davantage de liquidités aux banques, de soutenir les entreprises et les ménages qui font face à des pertes de revenus et d’encourager la poursuite de la distribution des crédits.

Plusieurs réformes initiées

Parmi les réformes à son actif, les banquiers aiment citer la mise en conformité du cadre réglementaire et de supervision de l’Union aux normes internationales standards de Bâle II et Bâle III qui sont entrées en vigueur depuis le 1ier janvier 2018 dans les pays membres. Cette réforme a permis notamment de renforcer la solidité et la résilience du secteur bancaire sous régional mais également de contribuer efficacement et durablement au financement des économies des Etats membres. Elle a été suivie dans la foulée par la révision du Plan Comptable Bancaire (PCB).

A cela, s’ajoute, l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie régionale d’inclusion financière dans l’UEMOA qui est une feuille de route communautaire en vue d’assurer, sur un horizon de cinq (5) ans, l’accès et l’utilisation d’une gamme diversifiée de produits et services financiers adaptés et à coûts abordables à 75% de la population de l’Union.

Le dispositif de soutien au financement des Pme/Pmi, le Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution de l’UMOA et le Bureau d’information sur le crédit (BIC) figurent également parmi les innovations à l’actif du Gouverneur sortant.

Mais c’est surtout la création de l’Umoa-Titres en 2013 qui a eu le plus grand impact. Cet instrument dont l’objectif est d’aider les Etats membres à mobiliser les ressources nécessaires pour la couverture de leurs besoins de financement, à des coûts modérés, a permis d’accroître significativement le financement des investissements structurants à travers les émissions de titres publics.

Les Etats membres devaient faire face à l’impératif d’une mobilisation accrue des ressources financières sur les marchés, en vue de financer les dépenses urgentes liées à la lutte contre la crise sanitaire et économique.

Ainsi, le montant global des émissions de titres publics est passé de 2.515,7 milliards de FCFA en 2014 à 5.551,5 milliards en 2021, avec un plus haut niveau de 9.103,4 milliards en 2020. « Aussi, avec la mise en place des Bons Covid-19, il a permis aux économies de la zone de faire face aux effets de la crise », fait observer Dr Abdoulaye Traoré, économiste monétariste, enseignant chercheur et membre du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (LAREM-UCAD).

Grâce à ce mécanisme, les Etats ont pu mobiliser 3.235,4 milliards en 2020 dans le cadre des « Bons Covid-19 », à un taux d’intérêt de 2,65%. Les « Obligations de Relance (OdR) » initiées en février 2021, d’une maturité de 3 ans à 15 ans, ont permis également aux Etats d’enregistrer 2.984,3 milliards de FCFA en 2021 au taux de 5,7%.

Les « Bons de Soutien et de Résilience (BSR) » lancés en août 2021, d’une maturité de 12 mois, ont permis d’engranger 705,3 milliards en 2021 au taux de 2,8%.

De même, la mesure de report d’échéances autorisé par la BCEAO a contribué à préserver la qualité du portefeuille des établissements de crédit. A fin décembre 2020, le montant cumulé des échéances ayant fait l’objet de reports sur les prêts aux ménages et entreprises affectés, pour une période de trois mois renouvelable, sans charge d’intérêts, ni frais, ni pénalités de retard par les établissements de crédit est estimé à 380,4 milliards, pour un encours de crédit de 769,4 milliards.

Enfin, Dr Traoré reconnait aussi qu’au cours de son mandat, Tiémoko Meyliet Koné a beaucoup soutenu le développement harmonieux des FINTECHS (starts up technologiques de la finance). Sous son magistère, un Bureau de Connaissance et de Suivi des FinTech (BCSF) a été instauré pour promouvoir ce secteur en organisant des échanges entre le Régulateur et l’écosystème numérique devenus incontournables dans la transformation digitale et la promotion de l’inclusion financière.

« Un banquier central conservateur »

Toutefois, hormis ces points jugés positifs, après 11 ans d’exercice à la tête de la BCEAO, le bilan est « mitigé sur le plan managérial », juge l’économiste Abdoulaye Traoré, estimant que, par rapport à ses prédécesseurs, le Gouverneur Koné jouirait d’une « moindre popularité bien qu’ils partagent une même vision libérale de l’économie » .  Et le Dr Traoré d’évoquer des résultats « peu reluisants » suite à la clôture du compte des opérations de l’UEMOA auprès du Trésor français, qui d’ailleurs a entrainé une « perte significative » de revenus qui y étaient associés. « Par exemple, poursuit-il, en 2020, la BCEAO qui y avait gagné 24,1 milliards de FCFA (et plus de 26 milliards lors des exercices précédents) a totalement perdu cette opportunité avec un gain nul en 2021. En outre, il y a une dégradation du bilan de la gestion locale des avoirs en devises de la BCEAO.

Les différents avoirs extérieurs ont rapporté 118,3 milliards de revenus nets d’intérêts en 2021, contre 185,21 milliards de FCFA au titre de l’exercice précédent, soit une baisse de 36% ». De l’avis de l’universitaire, au final, le constat qui s’impose est celui de la « poursuite timide des chantiers ouverts par ses prédécesseurs (notamment Philippe-Henry Dacoury Tabley et Charles Konan Banny) ». Toutefois, il estime qu’il faut reconnaitre au Gouverneur Koné « son caractère conservateur en tant que banquier central avec son aversion considérable pour cette inflation d’origine importée ».

Un pur produit de la BCEAO

S’il est jugé « conservateur » par certains observateurs, c’est que Tiémoko Meyliet Koné est un pur produit de la BCEAO où il a passé l’essentiel de sa carrière. Hormis, une brève parenthèse (2007-2011) passée dans l’administration publique ivoirienne. Il y a notamment occupé les fonctions de Directeur de Cabinet du Premier Ministre, avec rang de Ministre (de 2007 à 2010), de Ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat puis, enfin, de décembre 2010 à mai 2011 (date de sa nomination comme Gouverneur de la BCEAO), celles de Conseiller spécial du Président de la République, chargé des Affaires Economiques et Monétaires.

Né le 26 avril 1949 à Tafiré (République de Côte d’Ivoire), marié et père de 5 enfants, cet économiste de formation – (il est notamment diplômé du Centre de Formation de la BCEAO en 1975 et de l’Institut du FMI à Washington en 1979 –) a intégré très tôt le corps de l’encadrement supérieur de la BCEAO. Adjoint au Directeur National pour la Côte d’Ivoire (1987), Directeur Central de l’émission et des opérations financières au siège de la BCEAO à Dakar (1988 à 1989), Directeur National de la BCEAO pour la Côte d’Ivoire et Gouverneur suppléant au Fonds Monétaire International (1991 à 1998), Conseiller du Gouverneur de la BCEAO et Directeur du Département de l’Administration Générale et de la Formation de 1998 à 2002, Contrôleur Général, Conseiller Spécial et membre du Gouvernement de la Banque de 2002 à 2006… Il a progressivement gravi tous les échelons de l’institution communautaire. Ce qui, peut-être, explique sa posture conservatrice. A supposé qu’il ait réellement eu la marge de manœuvre pour faire autrement.

Toutefois, M. Koné a beaucoup œuvré pour l’assouplissement des conditions de liquidités ces derniers temps. Durant son mandat, la Banque centrale a abaissé « à des niveaux historiques » son taux directeur et son taux marginal respectivement à 2% et 4%, souligne Dr Traoré. Le coefficient des réserves obligatoires imposées aux banques a également connu une baisse de 7% à 3%, niveau en vigueur.

Meilleur gouverneur d’Afrique de l’Ouest selon le magazine Global Finance

Cette politique monétaire que d’aucuns jugent « d’accommodante » a permis à la BCEAO d’accroitre de manière substantielle les ressources fournies aux banques chaque semaine pour détendre les tensions sur leur trésorerie et faciliter leur soutien à l’économie. Le volume hebdomadaire des refinancements accordés par la BCEAO aux banques est ainsi passé de 714,4 milliards à fin décembre 2011 à 6.083,5 milliards à fin mars 2022, soit une multiplication par 8,5. Il faut enfin souligner une bonne gestion des réserves de change qui continuent d’assurer une bonne couverture de l’émission monétaire à hauteur de 78%.

Autant d’initiatives qui ont valu au Gouverneur Koné, l’attribution de la note B+ au titre de sa gestion, faisant de lui le meilleur gouverneur d’Afrique de l’Ouest selon le magazine Global Finance.

Sa gestion du débat sur le franc Cfa, qui a resurgi durant son mandat, a été aussi saluée par ses collaborateurs. Sa parole rare sur le sujet, ce qui est loin d’être un défaut pour un banquier central, a contribué à atténuer la polémique. Même si, pour les journalistes habitués à couvrir les réunions du Comité de politique monétaire (Cmp), on le sentait presque meurtri par autant d’attaques contre une monnaie qui, après tout, « se porte bien » et a permis d’assurer une stabilité des prix dans un contexte économique international instable. Difficile de lui demander plus !

Les dossiers chauds pour son successeur

Le successeur de M. Tiémoko Meyliet Koné n’aura pas beaucoup de temps de répit pour faire face à certains défis :

La consolidation des mesures mises en place dans le cadre de la lutte contre la pandémie et de la crise ukrainienne, afin de limiter leur impact sur les performances économiques des Etats ;

L’adoption de mesures pouvant encourager le secteur privé à mieux participer au processus de développement ;

La mise en œuvre du projet d’interopérabilité des services financiers numériques dans l’UEMOA ;

La mise en place d’un cadre de réglementation et de supervision des FINTECHS ;

Le déploiement du programme régional d’éducation financière dans l’UEMOA, qui devrait permettre aux usagers des services financiers d’acquérir les compétences requises pour une utilisation efficiente des services financiers, notamment ceux basés sur les nouvelles technologies, et de les prémunir contre les différents risques y afférents ;

La poursuite des travaux visant la révision de la loi portant réglementation des systèmes financiers décentralisés, ainsi que de celle portant réglementation bancaire dans l’UMOA.

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