Un château, héritage d’Houphouët-Boigny, sème la zizanie dans un village français

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La veuve du premier président ivoirien s’estime spoliée de la succession. Sa lutte divise le petit village de Bombon, où le « Vieux » avait acquis un château du XVIIe siècle.

En cette matinée d’hiver ensoleillée, trois cyclistes en balade prennent le temps d’admirer la géométrie stricte du Château de Bombon, qu’ils aperçoivent depuis les douves, face à l’imposante grille. L’un d’eux se demande : « C’est pas à Bokassa, ça ? » Non, l’ex-empereur de Centrafrique n’a jamais été propriétaire dans ce patelin de la Brie, en Seine-et-Marne. Il faut plutôt chercher du côté de l’Afrique de l’Ouest.

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De la rue du Château, on pénètre l’enceinte de 33 hectares par un petit portail laissé ouvert. Manifestement, le protocole s’est assoupli depuis le temps de Louis XIII, lorsque cette ancienne forteresse médiévale a pris son allure actuelle, élégante et fastueuse. Quelques centaines de mètres plus loin, après avoir traversé un parc, puis un second bordé d’une petite ferme, se dresse le corps principal, devant lequel stationne une demi-douzaine de voitures modestes.

Marlène Meleck, l’intendante, reçoit au château, où elle réside depuis 1975 : « Le président Houphouët-Boigny était très gentil, mais ne venait pas souvent. Une fois par an, peut-être ». A ses côtés, un homme trapu se présente comme le cuisinier du « Vieux ». Vingt-trois ans après sa mort, le père de l’indépendance ivoirienne hante encore les lieux.

Plus d’un milliard de dollars de patrimoine

Il reste tout aussi présent dans l’esprit de ses héritiers, qui se déchirent pour quelques beaux morceaux de son immense fortune. Quoique difficile à évaluer, ce patrimoine accumulé en partie avant que le « planteur » de cacao ne préside le pays, dépasse le milliard de dollars, sous la forme de propriétés immobilières et de comptes bancaires.

Quatre mois avant de trépasser, en décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny a revendu le domaine de Bombon à Isabelle Grunitzky, fille du second président du Togo, Nicolas Grunitzky, parvenu au pouvoir suite au premier coup d’Etat africain après les indépendances et qui sera destitué en 1967 par Gnassingbé Eyadema.

Ce faisant, le « Vieux » a joué un mauvais tour à son épouse, Marie-Thérèse Brou, aujourd’hui âgée de 86 ans et installée dans un village de Haute-Savoie, non loin de Genève. Dans sa lutte féroce engagée depuis 2013 autour de la succession de l’ancien président ivoirien, la veuve a saisi la justice pour exiger l’annulation de cette transaction, au motif qu’elle s’est opérée sans son consentement.

Pourquoi aurait-il dû la consulter, et surtout lui verser la moitié des 20,5 millions de francs français de l’époque (3,12 millions d’euros) perçus avec cette vente ? Parce que le 26 avril 1985, le « planteur, demeurant à Abidjan » acquiert le domaine de Bombon en sa qualité d’homme « marié [trente-deux ans plus tôt] avec Madame Brou, sous le régime de la communauté légale »« A défaut d’un acte attestant la liquidation de la communauté survenu entre l’achat et la vente du château, Marie-Thérèse Brou reste la bénéficiaire légitime. Or un tel acte n’existe pas », fait valoir son avocat, Jean-Paul Baduel, fort des démarches administratives entreprises pour élucider cette question.

Depuis octobre 2016, Me Baduel tire à tout va depuis son bureau parisien poussiéreux. Pas moins de quatre enfants de l’ancien président (Marie, Guillaume, François et Augustin, issus d’un premier mariage), la République de Côte d’Ivoire, l’actuelle première dame, Dominique Ouattara, ainsi que deux notaires sont sommés de restituer une portion de l’héritage. Marie-Thérèse Brou forme ici une alliance de raison avec Hélène Houphouët-Boigny, la fille adoptive du « Vieux », qui s’estime également lésée.

Enjeu des élections municipales

Proche du défunt, Isabelle Grunitzky se retrouve donc, malgré elle, assignée dans le cadre de la procédure civile intentée devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.

Si la famille Grunitzky ne séjourne pas fréquemment à Bombon, elle y organise de grandes fêtes une à deux fois par an. Ce qui incommode certains des 900 habitants de Bombon. « Ce sont des enquiquineurs qui n’hésitaient pas à venir se remplir la panse quand on les invitait », fulmine Marlène Meleck. En 2014, ces « enquiquineurs » se sont constitués en collectif « pour la sauvegarde du cadre de vie de Bombon », allant jusqu’à orner de slogans inquiétants les clôtures grillagées délimitant les propriétés riveraines du château.

Leur crainte, c’est l’exploitation du château telle que l’envisage la famille Grunitzky, et qui tient en trois lettres : ERP, pour Etablissement recevant du public. Les voisins n’en veulent pas. « A Bombon, on recherche la tranquillité, affirme Laetitia, une jeune mère dont la maison jouxte le mur du domaine. Je peux comprendre que l’entretien de la propriété soit coûteux. Mais s’ils investissent pour organiser des réceptions et des mariages, ils voudront en tirer profit. Deux ou trois fêtes par an, ça va, mais chaque week-end, non. »

Le conflit s’est envenimé au point de devenir l’enjeu central des élections municipales de mars 2014. D’un côté, celui qui a été le maire de la commune entre 1984 et 2008, Joseph Berger, « proche » du château, tentait de revenir à la mairie. De l’autre, le maire sortant, Jean-Pierre Girault, soutenu par le collectif. « Girault ? On l’a fait réélire », se vante Richard Briois, l’un des porte-étendards du mouvement de protestation.

Le pugilat a laissé des traces. Favorable au projet ERP, jusqu’à être qualifié d’« intendant » du château, Joseph Berger, « amer et malade, en a fini avec la politique. Il a été insulté, traîné dans la boue. C’est une honte après vingt-quatre années au service de la commune », jure l’une de ses proches. « Je ne lui parle plus », confirme Richard Briois, qui résume l’échec des tentatives de médiation par une aimable formule : « On n’allait pas faire allégeance aux châtelains. »

Incroyable imbroglio

Le maire, Jean-Pierre Girault, veut croire que « ça s’est calmé ». Les demandes de rénovation ont essuyé des « refus techniques », à la fois de la mairie et des Bâtiments de France, le château étant classé au registre des Monuments historiques depuis 1949. Mais comme le projet peut être déterré à tout moment, le maire a trouvé en l’avocat de Marie-Thérèse Brou un secours inattendu : « Nous avons suspendu la procédure jusqu’à ce que les propriétaires puissent prouver qu’ils le sont réellement », dit-il. Isabelle Grunitzky, directement concernée par cette alliance contre elle, n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.

Le sort des Bombonnais, comme celui des « châtelains » togolais, est donc entre les mains du tribunal de Paris, dont la tâche consistera à démêler l’incroyable imbroglio entourant la succession d’Houphouët-Boigny. Il lui faudra notamment se pencher sur le cas du notaire Jean-Michel Normand, assigné par Marie-Thérèse Brou le 27 octobre dernier. Condamné pour « complicité d’abus de faiblesse » dans le cadre de l’affaire Bettencourt, Me Normand a été le notaire du « Vieux » durant plusieurs décennies. Ce qui fait de lui l’un des rares à connaître peut-être l’étendue de son patrimoine.

Aujourd’hui retraité, Me Normand a été l’un des protagonistes du partage des biens entre l’Etat ivoirien et les quatre enfants issus du premier mariage du président, essentiellement sur la base d’un legs verbal dont personne ne semble en mesure de divulguer la teneur.

Comptes vidés par les héritiers

Une certitude : entre 1994 et 2004, Me Normand a reçu plus de 3,5 millions de francs (533 000 euros) d’honoraires et de frais divers. Ces frais se rapportent notamment à des voyages à Genève, où se trouvaient certains des comptes bancaires du défunt, à l’UBS et chez Citibank. Plusieurs de ces comptes ont été vidés par les héritiers peu après la mort du président, comme l’a constaté sa fille Hélène, lorsqu’elle parvient – trop tard – à en obtenir des relevés, au terme d’une bataille contre l’UBS qui lui opposait le secret bancaire en guise de fin de non-recevoir.

Le rôle de Jean-Michel Normand ne s’arrête pas là. On le retrouve à la manœuvre dans l‘acquisition d’un appartement situé à l’avenue Victor-Hugo, à Paris, en 1988, par Dominique Nouvian, devenue Dominique Ouattara, épouse de l’actuel président ivoirien. Bien que déclarée « sans profession » dans l’acte notarié, elle paie comptant la somme de 8,62 millions de francs (1,31 million d’euros).

Si elle a assuré la gestion d’une partie du patrimoine immobilier du « Vieux » de son vivant, l’actuelle première dame ne disposait pas d’une telle fortune à l’époque, estime Me Baduel. Il affirme qu’elle a acheté l’appartement de l’avenue Victor-Hugo avec les fonds Houphouët-Boigny, ce qui justifierait de l’ajouter au panier de la succession. De fait, l’un des comptes à l’UBS du premier président ivoirien a été débité en plusieurs virements de 24 millions de francs français de l’époque (3,66 millions d’euros) en faveur du compte de Dominique Nouvian à la Société Générale à Monaco, durant les dix-huit mois qui précèdent l’achat de l’appartement parisien.

 En 1978, le « planteur » est aussi devenu le propriétaire de l’hôtel de Beaumont, à Paris. Cette fois-ci, c’est la République de Côte d’Ivoire, par l’entremise de son successeur Henri Konan Bédié, qui est accusée de s’être approprié cette maison de prestige, bâtie au XVIIIe siècle. Dans sa « réplique d’incident » adressée au tribunal, l’Etat ivoirien reconnaît ne pas être détenteur des documents attestant son titre de propriété. Et pour cause : pour la Côte d’Ivoire et les enfants du défunt, la succession se fonde principalement sur le fameux legs verbal. Ni la République de Côte d’Ivoire ni Dominique Ouattara n’ont souhaité s’exprimer.

A suivre…

MediaNet

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