CONTRE LES LAMES DU DIABLE

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EXCISION AU SÉNÉGAL

Au Sénégal, des grands-mères contre les lames du diableGardiennes des traditions millénaires, les « aînées » imposaient, dans les familles, la pratique de l’ablation du clitoris aux filles, au nom des normes sociales. Sensibilisées aux conséquences dramatiques des excisions, elles luttent désormais contre ce fléau, comme en Casamance. À leur époque, on n’utilisait pas encore les lames de rasoir. Un couteau bien tranchant faisait l’affaire. « J’enlevais totalement le clitoris, mais seulement le clitoris. Pas les petites ou les grandes lèvres. Puis, une grand-mère vérifiait si j’avais bien coupé à la racine », raconte sobrement Thiékédié Mballo, 85 ans. « Le risque était assez élevé car nous faisions cela avec des adolescentes déjà très fortes. Lorsqu’elles s’agitaient, la lame ne taillait pas au bon endroit. Il y avait des déchirures », complète Coumbayel Mballo, 70 ans. Pendant près d’un demi-siècle, ces deux femmes ont été les exciseuses de Saré Demba, un petit village peul de Casamance dans le sud du Sénégal. Sous une sorte d’auvent en bois, à l’abri d’une chaleur de plus de quarante degrés qui grille les petites huttes en paille entourées d’animaux de basse-cour, elles ont accepté de parler sans tabou d’une coutume ancestrale encore répandue au Sénégal, malgré une loi d’interdiction votée en 1999 : l’excision.

L’Organisation mondiale de la santé a répertorié trois types d’opération : l’ablation du clitoris (clitoridectomie), du clitoris et d’une partie des petites lèvres (excision), du clitoris et des grandes et petites lèvres, avec suture du sexe de la femme (infibulation). Dans ce dernier cas, ne subsiste qu’une petite ouverture pour laisser écouler l’urine et les menstruations. Tolérées autrefois au nom d’un certain relativisme culturel, les mutilations génitales féminines (MGF), une dénomination apparue dans les années 1990, sont considérées aujourd’hui comme une violation des droits humains par les Nations unies, qui ont adopté, le 20 décembre 2012, une résolution appelant à y mettre fin.L’Unicef estime à deux millions le nombre d’excisions par an. Très souvent sur des fillettes de moins de 5 ans. La moitié des victimes vivent dans trois pays : l’Égypte, l’Éthiopie et l’Indonésie. Avec un taux de femmes excisées de 26 %, le Sénégal n’est pas le pays le plus touché. Mais cette moyenne nationale masque d’importantes disparités régionales. Ainsi, dans la région de Kolda, une des zones les plus pauvres et les plus éloignées de Dakar, où se situe le village démuni de Saré Demba, ce taux est de 94 % ! « Cela se faisait de génération en génération. Si tu refusais, on disait que tu n’étais pas respectueux des normes sociales », explique Coumbayel Mballo. « Pour nous, l’excision était l’occasion d’éduquer les filles. On organisait une cérémonie, le koyan, une fois par an dans le village avec en général une vingtaine d’adolescentes », se souvient Thiékédié Mballo. Ce rite de passage, abandonné avec l’entrée en vigueur de la loi de 1999, durait deux mois. Les mutilées, le temps de la cicatrisation, étaient enfermées et soumises à des punitions comme celle de remplir une bassine de larmes. « On leur apprenait qu’elles devaient se soumettre aux hommes », poursuit-elle. « Maintenant que l’excision est faite clandestinement sur les bébés, ce geste n’a plus de sens car on a enlevé le volet éducation », continue-t-elle. « Et puis, nous avons été sensibilisées. Nous avons compris que ce n’était pas une bonne chose », assurent les deux anciennes exciseuses. Fatoumata Baldé, la « matrone » du poste de santé de Kandia, proche de Saré Demba, participe à cette sensibilisation. Âgée de 59  ans, grand-mère de neuf petits-enfants, cette assistante de sage-femme au physique qui impose le respect alerte sur les conséquences médicales d’un tel acte. « Le travail d’une femme enceinte qui a été excisée dure trois heures, au lieu d’une heure en moyenne. La cicatrice peut s’ouvrir au niveau du clitoris. Il y a des déchirures dans l’utérus. Après l’accouchement, les risques d’infection et d’hémorragie sont importants », détaille-t-elle.
Des grands-mères leaders sont désignées. Elles sont 64 à ce jour.

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La matrone de Kandia fait partie d’un réseau de grands-mères qui sont en passe de changer les mentalités dans cette partie du Sénégal après avoir fait leur propre révolution sur des traditions dont elles sont les gardiennes attitrées. En 2006, les ONG The Grandmother Project (GMP, basée en Italie) et Vision du monde ont entamé une collaboration en Casamance pour revaloriser le rôle de ces aînées de plus en plus marginalisées. Après l’écriture d’un Guide des grands-mères, GMP et Vision du monde ont lancé un programme d’éradication des MGF dans la communauté rurale de Kandia du département de Vélingara, dans la région de Kolda. Avec, comme fers de lance, des grands-mères comme Fatoumata Baldé. « Ils nous ont envoyé de la connaissance. Les marabouts nous ont dit qu’ils n’avaient pas vu d’excisions dans le Coran », dit-elle dans un français appris à l’école jusqu’en CM2. Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de lien avec les religions, dont l’islam. Les motivations de l’excision, apparue au temps des pharaons, restent encore confuses. Au Sénégal, on ne recense pas de MGF chez les musulmans wolofs, première ethnie du pays, alors qu’elles sont très présentes chez les musulmans peuls.

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