Congrès de l’Association des Sociétés d’électricité en Afrique (ASEA) : Les douze travaux d’Hercule

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Le rideau est tombé sur la 20ème édition du Congrès coïncidant au 50ème anniversaire de l’Association des Sociétés d’électricité en Afrique (ASEA). Après cinq jours de travaux intenses, 12 résolutions ont été formulées par le Comité scientifique en direction des décideurs et gouvernements africains afin d’impulser une dynamique propre à l’atteinte de l’accès universel sur fond de performances des sociétés d’électricité.

Le plus grand rendez-vous sur l’énergie à travers le continent africain a tenu ses promesses en termes d’affluence, d’échanges et de résolutions. Environ 1000 participants de tous bords ont pris part à la 20ème édition du Congrès de l’Association des Sociétés d’électricité en Afrique (ASEA), organisé conjointement avec la Senelec, du 17 au 19 juillet dernier dans la capitale sénégalaise.

A la cérémonie d’ouverture présidée par Mme le ministre du Pétrole et des énergies, Sophie Gladima, les responsables de l’Asea ainsi que son nouveau président, Papa Mademba Bitèye, Directeur général de la Senelec, ont tour à tour présenté la situation électrique peu reluisante en Afrique, ainsi que le contexte « sulfureux » dans lequel œuvrent les sociétés d’électricité.

Au terme des travaux dont les conclusions sont consignées dans un rapport général, le comité scientifique de l’ASEA a formulé des recommandations à l’endroit des sociétés d’électricité membres.

Il s’agit, entre autres, de sensibiliser les décideurs et gouvernants africains pour l’accélération et le développement des marchés d’électricité au niveau africain d’une part, et d’autre part, de capitaliser les ressources relatives au programme d’électricité pour tous dans les données de l’accès à l’électricité des populations.

Le rapport indique également la nécessité de la mise en place d’une politique énergétique africaine intégrant les questions relatives aux énergies renouvelables, ainsi que toutes les questions connexes sur l’utilisation des études électriques.

Il s’agit en outre selon le comité scientifique de favoriser le partenariat public-privé, afin de maximiser les investissements ; mais aussi de faire de la cyber sécurité une priorité afin de garantir la sécurité de l’infrastructure électrique.

Le comité encourage également l’ensemble des sociétés d’électricité à poursuivre leurs engagements dans la digitalisation des services.

En somme, douze recommandations et pas des moindres, ont été formulées par le Comité scientifique de l’Asea.

Un consensus semble avoir été obtenu sur la voie à suivre et les conditions de la réussite, « comme l’urgence de nous affranchir du cloisonnement pour espérer amener notre cher continent à l’aube de la résolution définitive de l’accès à l’énergie », a soutenu Pape Toby Gaye, Secrétaire général de la Senelec, venu représenter le Directeur général à la cérémonie de clôture.

640 millions d’exclus

Le 20ème Congrès de l’ASEA s’est tenu dans un contexte africain     où seulement 6 pays affichent des taux d’électrification de 100%, alors que plus de la moitié des Etats affichent des taux d’électrification inférieurs à 50%, selon les chiffres de la Banque mondiale. Mme Sophie Gladima, ministre sénégalais du Pétrole et des énergies n’a pas manqué de souligné que « c’est le niveau le plus faible du monde », tout en comparant pour s’en désoler « la consommation d’électricité par habitant en Afrique subsaharienne (Afrique du Sud exclue) qui est de 180 kWh, contre 13 000 kWh par habitant aux États-Unis et 6500 kWh en Europe ».

Cette situation combinée aux difficultés des sociétés d’électricité, est de nature à creuser le déficit d’accès à l’électricité des populations.

Le thème principal de la « nécessité de service public et la performance des sociétés d’électricité », a d’ailleurs offert aux participants l’opportunité de mettre en relief l’épineuse problématique des obligations de service public et l’indispensable couverture des charges supportées par les sociétés d’électricité. Au constat, il apparaît que les prix de vente de l’électricité en Afrique Subsaharienne ne couvrent pas le coût de fourniture de l’électricité aux différents types d’usagers. Dans la plupart des pays, il ne couvre même pas les coûts d’investissement. Toutes choses susceptibles d’obérer les performances des sociétés d’électricité.

Pourtant, lors de son adresse à l’ouverture du congrès, le Directeur général de la Senelec a estimé que les sociétés d’électricité du continent « doivent désormais se libérer des vieilles croyances et des habitudes obsolètes qui leur faisaient croire à tort que le service public et la performance sont des positions antinomiques ou qui doivent s’exclure mutuellement. »

Reconnaissant plus tôt que les services publics d’électricité sont « des pièces maîtresses » du secteur de l’électricité dans toute l’économie, Madame Sophie Gladyma, ministre du Pétrole et des énergies, estime, quant à elle, que les sociétés d’électricité « doivent être prospères, performantes, efficaces et rentables car le continent africain en a besoin pour son développement économique ». Cependant, elle souligne que « cela ne sera possible que grâce à une formation de nos cadres, ingénieurs, chercheurs ; mobilisation de partenariat entre le public et le privé, et des financements innovants et compétitifs pour combler le gap de 50 à 70 milliards de francs Cfa par an pour réaliser des infrastructures ».

Papa Mademba Bitéye secoue le cocotier

Avec ou sans l’Etat, une entreprise publique d’électricité ne peut s’émanciper de l’obligation de service public et de performances. C’est le postulat du Directeur général de Senelec Pape Mademba Bitèye. Ce dernier intervenait à la cérémonie d’ouverture du 20ème Congrès de l’Asea (Association des sociétés d’électricité d’Afrique) dont il est désormais le Président.

Comment assurer un service public de qualité lorsque les prix de vente de l’électricité ne reflètent pas les coûts de fourniture de ce service ? C’est en substance la délicate problématique de « La nécessité du service public et la performance des sociétés africaines d’électricité » qui a été au menu principal du 20ème Congrès de l’Asea (Association des sociétés d’électricité d’Afrique).

Il faut souligner que beaucoup de sociétés d’électricité en Afrique « refilent » la patate chaude à l’Etat quant à la nécessité de performances dans le service public. La question est toute tranchée pour le Directeur général de la Senelec selon qui, « on ne peut plus et on ne doit plus se cacher derrière le rideau gouvernemental ou de l’Etat pour se permettre de faire fi de la nécessité de toujours être à la hauteur des attentes de résultats à l’image du secteur privé ».

Il faut dire qu’un contrat de performances existe bel et bien entre l’Etat et la Senelec et il est régulièrement évalué, alors-même que les tarifs sont subventionnés par l’Etat sénégalais. Mais pour M. Bitèye, « cette vielle croyance de l’inadéquation entre la performance et le service public doit être corrigée car, les exigences de réussite et de résultats ne doivent plus être exclusives au secteur privé », a –t-il encore défendu.

En recevant la bannière de l’Asea des mains de son prédécesseur zambien, Victor Mulenga Mudende, le nouveau président dit mesurer « à leur juste valeur les enjeux qui sont devant nous dans un environnement où notre continent est obligé de travailler à la recherche de solutions endogènes pour relever le défi de l’accès aux services énergétiques modernes pour nos villes et nos campagnes et donc soutenir le développement de nos économies ».

Son mandat de cinq ans qui prendra fin en 2025, Pape Mademba Bitèye s’engage à le mettre à profit pour impulser un changement de paradigme afin d’« effectuer le tournant tant attendu qui mènera vers la réussite du pari de la performance des sociétés africaines d’électricité », a –t-il souligné.

CONTRAT DE PERFORMANCE : Un outil de gouvernance

Lorsque le Directeur général de la Senelec, Président de l’ASEA, déclare que « cette vielle croyance de l’inadéquation entre la performance et le service public doit être corrigée », il est logique avec lui-même. La boîte qu’il dirige depuis avril 2019 est en effet régulièrement sous contrat de performance depuis 2013, avec l’Etat.

Le premier Contrat de performance 2013-2016 signé entre l’Etat sénégalais et la Senelec a accompagné la mise en place par l’Etat d’un Plan de Restructuration et de Relance du Secteur de l’Energie (PRRSE). Il avait mis le focus sur la restauration, au sein de la Senelec, des paramètres techniques et financiers compatibles avec une saine gestion. Il a également introduit une culture du résultat au sein de la société qui permet de mesurer son activité à travers des indicateurs dont certains ont donné lieu au calcul d’une formule de bonus/malus.

En 2016, l’Etat du Sénégal et la Senelec ont signé un deuxième Contrat de Performance (CdP) qui a couvert la période 2017-2019, tenant compte du bilan tiré de la mise en œuvre du premier CdP (2013-2016) mais aussi des perspectives d’évolution dans le Secteur de l’Electricité.

A travers ce deuxième Contrat, les Parties visaient l’adoption d’un outil de gestion et de stimulation de la performance.

Une vision basée sur des principes de gouvernance

Dans la logique continue d’amélioration des Performances de l’opérateur de la Senelec suivant les priorités stratégiques définies dans le Plan Sénégal Emergent et le PAP2A pour le Secteur et dans la Nouvelle Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Energie 2019-2023, l’Etat du Sénégal et la Senelec ont à nouveau pris des engagements à travers un Contrat de Performance. Celui-ci va couvrir la période 2021-2023, période durant laquelle, des Réformes importantes, notamment la Filialisation de Senelec, l’Accès des Tiers au Réseau, vont s’opérer dans le Secteur de l’Energie, de même que la Promulgation d’un Code de l’Electricité et de ses Décrets d’Application. Il va aussi s’inscrire dans le contexte de la mise en œuvre d’importants programmes d’investissements avec les partenaires dont le Compact II MCC. De plus, c’est durant cette période que le Ministère en charge de l’Energie (MPE), pour se prémunir de mutations éventuelles, est entrain de mettre en œuvre d’Importantes Stratégies. Il s’agit entre autres de:

• La Stratégie « Gas to Power » pour utiliser de manière optimale les Ressources en Gaz du Sénégal pour la Production d’Electricité ;

• La Stratégie « Accès Universel à l’Electricité » dont l’objectif est de résorber tous les gaps afin s’assurer à toutes les Populations Sénégalaises l’Accès à l’Energie dans les meilleures conditions.

Pour s’assurer de la bonne exécution du Contrat, un Comité de Suivi du Contrat a été créé par Arrêté Interministériel du Ministre des Finances et du Budget et du Ministre du Pétrole et des Energies. Le dispositif de Suivi et d’Evaluation du CdP prévoie également la Sélection d’un Consultant Chargé de la Revue Périodique Indépendante des Engagements des Parties Prenantes au Contrat. Dans ce cadre, il est retenu le Recrutement d’un Auditeur, disposant des Compétences, de l’Expérience, ainsi que de l’Indépendance Requises pour Conduire une Mission de Contrôle de l’application des dispositions du CdP.

A travers ces contrats de performance, la vision de l’Etat en ce qui concerne le développement du secteur électrique se décline en différents objectifs stratégiques consistant à :

– Résorber définitivement le déficit entre l’offre et la demande en énergie électrique sur tout le territoire sénégalais ;

– Résoudre le déséquilibre financier de SENELEC ;

– Optimiser la gestion et le management de SENELEC

Dans la foulée, l’Etat du Sénégal a signé un contrat de performances, pratiquement avec toutes ses directions, agences et structures.

Il convient de souligner que bien avant la nomination de M. Bitèye au poste de Directeur général de la Senelec, son prédécesseur, Mouhamadou Makhtar Cissé, dans le cadre du Plan stratégique 2016-2020, avait théorisé la conciliation de la rentabilité (profit) avec le service social. Il déclarait : « Je suis, et mes collaborateurs avec moi, de ceux qui pensent qu’à Senelec il est possible de concilier les deux pour peu qu’on respecte un certain nombre de principes de gouvernance et de gestion opérationnelle en trouvant un équilibre entre les rôles politique et économique. Le Plan stratégique vise également à démontrer cela. »

PERSPECTIVES DES SOCIETES D’ELECTRICITE EN AFRIQUE :

Les douze travaux d’Hercule

SENELEC : Le défi majeur

Au moment où se pose l’épineuse question des performances des sociétés d’électricité en Afrique, Senelec se prépare à un bouleversement sans précédent de sa structure verticale. Depuis l’échec de sa privatisation en 1998, il est question de la fin de son monopole et de son ouverture à la concurrence, ainsi qu’en dispose l’article 82 du code de l’électricité (loi n°2021-31 du 9 juillet 2021).

Pour l’heure, elle bénéficie encore d’une période d’exclusivité   déjà prorogée à deux reprises et qui devait se terminer au 30 novembre 2020. Mais l’opérateur public historique, Senelec, marche tout droit vers sa mutation en holding avec le dégroupage de ses activités de production, transport, distribution qui seront réparties en filiales autonomes.

Depuis l’adoption de la loi n°98-29 du 14 avril 1998 relative au secteur de l’électricité, seule Senelec était habilitée à exercer une activité d’achat en gros, de transport et de vente en gros d’énergie électrique sur toute l’étendue du territoire national pour une durée fixée par le contrat de concession liant l’État du Sénégal à sa société nationale. Initialement prévue pour une durée de 10 ans à compter du 31 mars 1999.   Une nouvelle période d’exclusivité qui court jusqu’en février 2024 lui a toutefois été accordée. Autrement dit, Senelec, sous sa forme actuelle, ne devrait plus exister.

Elle revient de loin !

Tout au long de sa passionnante histoire, Senelec a connu plusieurs réformes notamment depuis le début du 20ème siècle avec la création de la Cie des Eaux et Électricité de l’Ouest-Africain (EEOA) et la mise en service de la doyenne des centrales, Bel Air, en passant par la création même de Senelec en 1983. Une dizaine d’années plus tard, l’ouverture au privé du segment de la production, matérialisée par la signature du contrat BOOT Senelec-GTI   marque la première réforme du marché de l’électricité au Sénégal. Ce fut un contrat d’achat d’énergie pour 15 ans et l’installation d’une turbine à gaz à cycle combiné de 50 MW.

Dans une large mesure, les pays africains ont conservé la structure traditionnelle de sociétés de monopole intégrées de leur secteur de l’électricité, bien que la plupart aient intégré des PEI (Producteurs d’Électricité Indépendants). Une étude conjointe et récente de l’Association des sociétés d’électricité d’Afrique (ASEA) et de la Banque africaine de développement (BAD) fait état de 10 pays seulement sur les 42 pays couverts par ladite étude ont dégroupé en partie ou en totalité le secteur (soit 24%). D’autres pays envisagent la possibilité de procéder à une restructuration et de créer un gestionnaire de réseau indépendant pour assumer la responsabilité à la fois de la planification de la production, de l’achat de l’électricité, de l’exploitation et du transport de l’électricité, ainsi que de la planification du transport et de la distribution de l’électricité à moindre coût. Ainsi, des pays tels que le Kenya, le Nigeria, le Ghana et l’Ouganda, qui ont entrepris d’importantes réformes, sont mieux classés que d’autres.

Toujours est-il qu’à la faveur de la Lettre de politique de développement du secteur de l’énergie (LPDSE) 2013-2017 et le renforcement du parc de production avec le mix énergétique, Senelec a commencé à sortir de l’ornière et renoué avec les performances. Avec des capacités accrues, elle a connu une amélioration sensible de la fourniture de l’électricité malgré des coûts de production qui demeurent élevés et des tarifs en deçà.

A quels prix…

La prochaine mutation de Senelec en holding avec la filialisation de la Production, du Transport et de la Distribution, et l’arrivée   du privé national et étranger, des consommateurs et des travailleurs, à côté d’un partenaire technique international, dans le capital s’avère toutefois complexe.

La question se pose en effet de la prise en compte de ces segments dans la détermination des conditions tarifaires applicables. Il faudra nécessairement mettre en place un mécanisme susceptible de susciter l’intérêt de l’investisseur privé pour le secteur grâce à un taux de rentabilité suffisamment attractif. Il faut aussi garantir aux opérateurs les conditions de stabilité financière et (ou) une tarification en adéquation avec la qualité de service, qui s’inscrit dans la continuité et la sécurité d’approvisionnement, à moindre coût et pour le plus grand bien des usagers.

Au total, en mettant notamment fin au monopole de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) sur l’achat, le transport et la vente en gros d’électricité, le code de l’électricité entérine la mise en œuvre opérationnelle du marché de l’électricité au Sénégal.

La séparation fonctionnelle par la création d’une société holding et de trois filiales (production, transport et distribution-vente) doit être finalisée dans un délai maximum de 30 mois. Mais le passage en une société holding détenant des filiales pour chacune de ses activités historiques suppose de résoudre les difficultés liées à la définition des actifs et passifs à affecter à chacune des filiales.

Outre l’audit financier et physique requis, les modalités et le calendrier de transfert des contrats d’achat d’électricité liant actuellement Senelec aux producteurs indépendants restent à définir. La future filiale de distribution-vente devrait notamment reprendre les obligations de paiement prévues dans les contrats d’achat d’électricité existants. Les modalités de livraison de l’énergie initialement prévues dans ces contrats devraient être transférées dans une convention de raccordement passée entre chaque producteur indépendant et la future filiale en charge du transport (ou le futur délégataire de ce service public), ceci en conformité avec le code réseau adopté par le Sénégal.

Par ailleurs, une attention particulière devra être portée sur la solidité financière de la future société de distribution-vente filiale de la Senelec pour limiter les risques de défauts sur la chaine de paiement dans le secteur. « Cette future société devra aussi disposer d’une réelle capacité opérationnelle afin de garantir la performance globale du secteur, une défaillance opérationnelle du réseau de distribution étant susceptible d’empêcher l’arrivée de l’énergie électrique chez les usagers finaux alors même que cette énergie est disponible ». *

Reste à prier pour que l’introduction forcée de la concurrence dans le secteur ne fasse monter les prix

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