Trouver un toit à Dakar : Les locataires racontent leur calvaire

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Trouver une chambre ou un appartement en location dans la banlieue relève d’un véritable parcours du combattant. Le prix du loyer ne cesse de grimper ces dernières années. Cette cherté est surtout aggravée par les inondations.  Si certains parviennent à casquer fort pour trouver un toit, d’autres se rabattent dans les maisons en chantier.

Sur les ruelles sinueuses et étroites de Gounass (Guédiawaye), la tête déballée, les pieds poussiéreux, haute de ses 1,70m, Yaye Fatou Ndiaye à l’air déboussolée. Bien emmitouflée dans un grand  boubou Khartoum rose qui contraste avec son pagne wax, elle est restée assise sur un banc en bois devant le portail de sa maison.

Agée de 35 hivernages et mère de quatre bouts de bois de Dieu, Yaye Fatou Ndiaye est victime des inondations. Sa maison a été envahie par les eaux lors des dernières fortes pluies torrentielles qui se sont déversées lors de la saison des pluies sur Dakar et sa banlieue proliférant ainsi un nombre incommensurable de dégâts matériels non sans lister les pertes en vie humaines. A l’en croire, sa maison  est toujours impraticable.

En plus des eaux stagnantes qui y dégagent une odeur fétide, elle menace de s’effondrer. Ainsi, pour garantir sa sécurité et celle de ses enfants, elle a décidé d’abandonner la demeure pour aller louer une autre, même si ses moyens financiers font défaut. Cependant, elle dénonce la hausse enregistrée sur le prix du loyer dans la banlieue à chaque période d’hivernage. Selon lui, le coût de la location a doublé voir triplé.

Des conditions de vie inhumaines

« Les propriétaires de maison n’ont aucune pitié pour les victimes des inondations. Ils profitent de la misère des gens pour fructifier leurs affaires. Ce qui est totalement contradictoire avec l’esprit de solidarité et d’entraide que les sénégalais prônent » déplore t-elle, la mine triste. Pis, elle fait savoir qu’à chaque fois que les eaux de pluie  imposent leurs diktats à bon nombre de famille, trouver une chambre en location dans la banlieue relève de la croix et la bannière. Il va falloir vadrouiller dans mille et un quartiers pour en trouver une, parfois dans un état calamiteux. « J’ai rencontré toutes les peines du monde pour trouver une chambre.

Depuis les premières averses qui ont annoncé le démarrage de la saison des pluies, j’avais commencé à chercher une maison pour y déménager car je savais que notre maison était dans une zone inondable. Chaque jour, tôt le matin,  j’arpentais les allés des quartiers avoisinants en quête d’une chambre. J’en voyais parfois mais je n’étais pas en mesure de débourser les sommes qu’on me demandait pour la caution. Je suis allée jusqu’à Malika pensant que les chambres étaient moins chers là-bas. Que nenni. J’ai trouvé une chambre il y a trois jours et je l’ai acquise par le biais d’un courtier à qui j’ai payé 5000 francs en guise de pourboire » raconte t-elle, la voix cassée.

Poursuivant son argumentaire, elle ajoute : « le prix du loyer par chambre est estimé à 30 000 francs par mois. J’ai négocié avec le propriétaire afin qu’il le réduise à 20 000 francs, en vain. C’était à prendre ou à laisser. Je l’ai du coup versé 60 000 francs pour la caution avant de m’installer deux jours plus tard ». A en croire  la dame, il ya 5 ans, les chambres étaient louées à 15 000 mille francs le mois. Mais vu que la demande est forte, les propriétaires des maisons ont augmenté les prix.  A l’image de Yaye Fatou Ndiaye, des centaines et des centaines de familles sont  déplorent la cherté du prix du loyer dans la banlieue. Originaire de la ville sainte de Touba, Baye Cheikh Sall a posé ses baluchons dans la capitale sénégalaise il y a 20 ans.

Très courageux, il parvient, après 7 années de dur labeur, à acheter un terrain à Wakhinane Nimzatt non loin du bassin de rétention. Il y construit des pièces en baraques avant d’y loger avec toute sa famille. Polygame et père de 11 enfants, Moustapha Mbaye a abandonné aujourd’hui sa maison à cause des eaux de pluies qui l’ont pris d’assaut. Ne pouvant plus retourner à Touba avec une famille qu’elle juge nombreuse et qui a pris le goût de vivre loin des champs et des plantations, il est obligé de louer trois chambres pour s’y entasser avec toute sa famille.

Des pères de famille achevés par les courtiers

Toutes les fins du mois, il débourse 60 000 francs pour payer le loyer sans compter les charges supplémentaires, tels la dépense quotidienne, le payement des factures d’eau et d’électricité non sans compter la fourniture des mômes durant l’année scolaire. La mine perdue, il fustige, sous un ton dégouté la hausse sans arrêt du prix du loyer. « Le prix du loyer grimpe chaque jour. Les chambres qu’on donnait à 10 000 francs le mois sont maintenant à 20 000 francs et on donne des cautions de deux à trois mois.

Non sans compter la somme attribuée au courtier» s’indigne t-il. Avant de tirer à boulets rouges sur les courtiers et les gérants immobiliers qui, fait-il savoir, sont à l’origine de cette hausse. « Auparavant les frais de location étaient jugés abordables dans la banlieue. Beaucoup de père de famille quittaient le centre ville pour venir élire domicile ici.

Mais depuis 2015, avec la recrudescence des inondations et la prolifération des agences immobilières à tout bout de champ dans la banlieue, la tendance se raréfie de plus en plus » renseigne t-il. Embouchant la même trompette, Amadou Mané, tailleur de  son état lui aussi fustige la cherté du prix du loyer. Jadis résidant à Gounas, il quitte maintenant tous les jours  Notaire pour rallier son lieu de travail. Victime des inondations, il a quitté son domicile pour prendre en location un appartement composé de deux chambres, salon, toilette et cuisine à 95 000 francs Cfa.

D’après lui, ce genre d’appartement coutait avant entre 65 000 Fet 70 000 francs. Mais maintenant, il faut y ajouter au moins 20 000 francs Cfa au moins pourl’avoir.   C’est ainsi qu’il déclare : « Aujourd’hui le loyer est abusif. Les prix sont fixés sans réglementation. Certes, les couts d’investissement pour construire une maison sont exorbitants mais cela ne doit pas inciter les propriétaires à fixer des prix au-delà des normes. Ils doivent au moins être compréhensibles à l’égard des pauvres dont la majorité peine à joindre les deux bouts » indique t-il.

Les maisons en chantier l’alternative des familles démunies

Si certaines populations de la banlieue, chassées dans leurs maisons par les inondations, parviennent à s’en sortir en louant une chambre avec des prix qu’elles jugent exagérés d’autres, moins fortunées se ruent dans les maisons en chantier pour éviter  de passer la nuit sous la belle étoile.  Ces maisons leurs sont, soit prêtées pour un temps bien déterminé, soit louées à des sommes dérisoires qui correspondent à leurs bourses. C’est le cas de cette dame rencontrée à Golf Nord. Elle s’appelle Astou. Assise devant sa concession, elle trie des arêtes de poissons fumés posés sur un plat.

Apres les salamalecs d’usage, nous lui signifions l’objet de notre visite. Comme des touristes avec son guide, elle nous fait visiter sa chambre. Ce, pour montrer les conditions catastrophiques dans lesquelles elle évolue avec les pluies de l’année dernière. Elle habite dans une véritable maison de fortunes. Le panorama qui s’offre dans la cour de la maison, prouve l’état de pauvreté qui frappe cette famille. Des ustensiles de cuisines qui contiennent les restes de la veille y sont visibles.

Deux enfants, nus réclament, en pleurs, leur petit déjeuner. C’est le désordre total à l’intérieur de sa chambre. Sur le sol, dépourvu de tapis, deux matelas d’une fine épaisseur  y sont jetés. Ils sont couverts de draps troués et maculés. Même pas une brosse de peinture n’est passée sur les murs de la chambre. Pire, la piaule n’a ni de porte ni de fenêtres. La maison n’a ni de toilette encore moins de sécurité. Des briques superposées l’une sur l’autre y sont érigées pour servir de fenêtres. Mère de cinq enfants, Astou est veuve depuis l’année dernière.

A cause des inondations, elle était contrainte de quitter son domicile pour se refuser ailleurs, loin des moustiques et des eaux verdâtres et puantes qui peuvent causer des maladies à sa progéniture: « les eaux des pluies ont envahi notre maison lors des averses qui se sont abattues sur Dakar la saison dernière. Nous avons passé deux jours sous la belle étoile avant qu’on nous prête ici. On m’y a donné une chambre que je partage avec mes trois enfants  renseigne t-elle, le cœur meurtri. Ne pouvant pas cacher son malheur, elle poursuit, la voix cassée : « Cette maison est en chantier. Nous comptons y rester jusqu’à trouver mieux même si toutes les conditions pour y vivre correctement ne sont pas réunies. Il n’y a pas d’électricité, ni d’eau.

Nous achetons tous les jours 4 bassines de l’eau pour préparer le repas et se doucher. Et, pour  se doucher chacun doit payer pour son propre compte. Une insécurité grandissante prévaut aussi dans ce quartier. Vu l’état de la maison nous sommes exposés eux agressions et aux viols. Nous avons accepté d’habiter ici parce que nous n’avons pas de moyens pour louer une chambre. ». Astou partage la maison avec une autre famille, elle aussi victime des inondations. C’est celle de la famille Mbaye. Moustapha est le père de la dite famille. La quarantaine dépassée, cet ancien chauffeur de clando ne travaille plus à cause de la maladie de ses yeux. « Cela fait plus d’un an que je ne travaille plus. Mon fils ainé est sans vergogne. Au lieu de se soucier du calvaire que nous vivons, il s’est versé dans la délinquance.

Il n’a aucune utilité pour la famille si ce n’est  augmenter notre lot de malheur. C’est grâce à la maigre somme que gagne quotidiennement mon épouse que nous parvenons à bouillir la marmite, sinon on ne met rien sous les dents. Elle est vendeuse de légume au marché Mame Diarra (Hamo4). Si ce n’était pas l’éducation de mes autres enfants je serais déjà retourné au village. Nous souffrons ici. Les conditions sont difficiles à Dakar. Il est impossible de trouver maintenant une chambre à 15 mille francs Cfa dans la banlieue ».

Moins chanceuse, Assé Diallo a loué une maison en voie de délabrement. Pis, le propriétaire de la maison lui a sommé de quitter la demeure avant les prochaines pluies. Trouvée en train d’étendre son linge, elle souligne : « Je vis ici avec mon mari et mes deux filles. L’eau et le courant ont été coupés. Nous n’étions pas en mesure de payer les factures. Les toilettes ont été bouchées par les eaux de pluies. Nous avons d’énormes problèmes pour satisfaire nos besoins. Ca fait honte d’aller tout le temps solliciter le voisinage. Mon mari est polygame sans emploi.

C’est occasionnellement qu’il parvient à travailler dans les chantiers comme manœuvre. Et, tout ce qu’il ramasse, il l’envoie à ma coépouse qui vit à Touba. A la fin du mois, mes deux filles et moi partageons le montant de la location. On paye 15 mille francs par mois. Chacune donne7 500 francs.

Actuellement, le propriétaire veut nous déloger. Tous les autres locataires sont sortis. Mais nous, nous  n’avons pas encore ou aller car, le prix du loyer est cher et on nous demande trois mois de caution. Ce que nous n’avons pas » déclare t-elle. « Nous risquons d’être expulsés du jour au lendemain. Le propriétaire nous a clairement dit qu’il va rénover sa maison. Je suis entrain de voir si on pourra avoir une chambre d’ici la fin du mois ».

 

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