LES RANÇONS DU JIHADISME AU SAHEL

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Les «sans-grade» de l’humanitaire dans le viseur du terrorisme au Sahel. L’enlèvement de Sophie Pétronin, fin décembre au Mali, illustre la sécurité précaire des Occidentaux de petites associations, qui n’ont pas les moyens des grands groupes et des ONG internationales.
Le 24 décembre, Sophie Pétronin, une sexagénaire française vivant à Gao (Mali) depuis une douzaine d’années, est enlevée dans un 4 × 4 en fin d’après-midi. Elle dirigeait une petite ONG d’aide à l’enfance. On est toujours sans nouvelles d’elle. Selon un procureur malien, elle serait aux mains d’Al-Mourabitoune, le groupe de Mokhtar Belmokhtar, affilié à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), dont c’est la zone.

Le rapt de Sophie Pétronin en rappelle d’autres. Car depuis un an, les kidnappings au Sahel se succèdent et se ressemblent. Le 7 janvier 2016, une missionnaire suisse, Béatrice Stockly, est enlevée à Tombouctou (Mali). Une semaine plus tard, dans la nuit du 15 au 16 janvier, des hommes armés pénètrent chez les Elliott, un couple d’Australiens âgés tenant une petite clinique depuis plus de quarante ans à Djibo (nord du Burkina-Faso). Jocelyn Elliott est rapidement libérée au Niger, mais pas son mari. Puis le 14 octobre, le garde national et le gardien qui protègent le domicile de Jeffery Woodke, dans la petite ville d’Abalak (Niger) sont abattus. L’Américain est emmené de force dans un véhicule tout-terrain qui emprunte une piste vers le Mali. Quatre enlèvements en moins d’un an. Et les profils des otages se ressemblent. Tous mènent des actions humanitaires avec de petites structures. Ils sont intégrés, parlent souvent des langues locales (peul, tamacheq, songhaï). Ils vivent depuis longtemps dans des zones formellement déconseillées par les chancelleries occidentales, isolés.

Une fois enlevés, ils tombent entre les mains de groupes affiliés à Aqmi, qui entend s’en servir comme source de financement ou moyen de pression. «Ce sont des cibles “faciles”, se désole une source diplomatique à Ouagadougou. La personne vit là, elle a ses habitudes.» Quand le nord du Mali est tombé sous l’escarcelle des groupes terroristes, les Occidentaux ont été contraints de fuir les zones occupées. Depuis, certains y sont revenus, comme Sophie Pétronin (qui avait déjà échappé de peu à un enlèvement) et Béatrice Stockly (qui avait déjà été enlevée en 2012). Pourtant, le Sahel est loin d’être sûr. Les ambassades occidentales poussent leurs ressortissants à quitter les zones critiques (en rouge sur les cartes éditées par le Quai d’Orsay, par exemple), mais elles n’ont «aucun pouvoir de coercition», pointe cette source.

Pour les groupes criminels et jihadistes, ces humanitaires vulnérables constituent une aubaine. «La montée en puissance d’Aqmi, en 2012, au Mali est liée en grande partie à l’accumulation des rançons», rappelle Yvan Guichaoua, chercheur et maître de conférences à la Brussels School of International Studies. Un business qui lui aurait permis d’accumuler des dizaines de millions d’euros et de s’imposer face à d’autres groupes armés. Il est «toujours profitable d’attraper des Occidentaux pour les groupes armés qui prennent ce qu’ils ont sous la main, explique-t-il. Ils n’ont plus de cadres de multinationales, comme en 2010 avec Areva, parce que toutes les grosses boutiques qui contractualisent leurs relations avec les expatriés ont maintenant serré les dispositifs de sécurité. Il leur reste ces profils-là.»

Quant aux grosses ONG, elles déploient des stratégies sécuritaires éprouvées sur lesquelles elles restent discrètes. «Chaque structure fonctionne différemment, pointe une source humanitaire au Niger. De manière générale, nous essayons de maintenir un dialogue régulier avec les acteurs du conflit, pour expliquer nos objectifs. Notre sécurité est en grande partie basée sur notre “acceptabilité”, autrement dit notre capacité à nous faire accepter par les porteurs d’armes qui contrôlent une zone donnée comme une organisation neutre et impartiale.

Les grandes ONG vont à la pêche aux informations de manière très volontariste. Grâce à des intermédiaires, elles vont parler à de grandes figures jihadistes. Si elles veulent faire leur boulot, elles sont obligées d’avoir des accords explicites.»

«Portefeuille».

Quoi qu’il en soit, les négociations pour libérer ces nouveaux otages pourraient être longues. «Pour ces “sans-grade”, pas d’Areva ou de grosses ONG pour activer les choses, relève Yvan Guichaoua. Ça va être une histoire de volonté politique des gouvernants. Quand c’est Areva, Vinci ou une grosse ONG, des équipes spécialisées sont automatiquement sur le coup et ont aussi le portefeuille pour payer d’éventuelles rançons. Là, ça va être compliqué.»

 

Avec Gaël Cogné

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