Mo Ibrahim: “nous avons été trop complaisants avec la corruption”

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Lors du Forum CEO Africa le 21 mars 2017, le président de la Mo Ibrahim Foundation a souligné l’importance de la bonne gouvernance pour le développement de l’Afrique Orbiswiss. Les vieux systèmes survivent quand les vieilles pratiques demeurent, c’est le constat du milliardaire philanthrope Mo Ibrahim, à la tête de la fondation éponyme. Nous  rencontré à Genève en marge de l’Africa CEO Forum organisé par le groupe Jeune Afrique, il donne ses impressions.

Avez-vous observé des éléments positifs en matière de gouvernance ces dernières années ? Chacun des 54 pays africains a son histoire. Nous n’attendons pas qu’ils évoluent tous de la même façon. Certains vont de l’avant, d’autres malheureusement font marche arrière. Les pays qui ont enduré des conflits sont les plus fragiles : la Libye, le Soudan du Sud où l’état s’est écroulé et qui doit faire face à la famine. Le Rwanda, la Cote d’Ivoire ont fait d’importants progrès. La première chose qui importe, c’est la paix.

Vous étiez plus enthousiaste il y a dix ans… La première décennie des années  2000 était encourageante grâce au développement économique, l’augmentation de la demande de matières premières, La Chine s’est ruée sur Afrique. Depuis nous assistons à une stagnation, parce que certains pays ne sont pas parvenus à diversifier leur économie et sont restés dépendants d’un seul produit. Comme l’Algérie, le Nigeria, le Sud Soudan, dont  99.% du budget repose sur le pétrole. Quand le baril chute, tout part en miettes. D’un autre coté beaucoup de pays africains non producteurs  profitent de la chute du cours du pétrole. Si l’accord avec l’opposition n’est pas respecté en RDC, le pays s’enflammera.

Au cours de l’année 2016, de nombreuses élections ont eu lieu, qu’avez-vous ressenti en observant celles d’Afrique centrale : au Gabon, au Congo-Brazzaville, en RDC, où on attend toujours qu’elles se déroulent. Ces pays sont-ils destinés à vivre sous la tutelle d’un même leader pendant 30 ou 40 ans ? J’espère que non. En RDC, il faut noter que le président actuel a été contraint de signer une sorte d’accord avec l’opposition, qui je l’espère sera respecté. Nous verrons. Il doit former un gouvernement avec l’opposition et tenir les élections dans un an, j’espère qu’il le fera. Autrement, le pays va s’enflammer. Qui sera la première victime ? Lui-même. Il doit le savoir. Une poignée de pays d’Afrique Centrale ont de très mauvais résultats mais d’un autre coté, nous avons vu des transitions démocratiques pacifiques au Ghana, au Nigeria, au Cap Vert.

En Gambie ? Oui, même si on a un peu dû forcer le président sortant à partir, mais cela s’est bien passé. Il y a des belles choses en Afrique. Au Ghana ; les résultats des élections sont souvent très serrés et les gens les acceptent sans s’accuser mutuellement de fraude ni réclamer de  recomptage. C’est intéressant cela se passe mieux qu’aux Etats-Unis où les élections sont le théâtre d’accusations de fraude et d’interférences.

Votre fondation décerne chaque année le Prix Ibrahim, une dotation de 5 millions de dollars pour d’anciens chefs d’État ou de gouvernement d’un pays africain ayant été élus démocratiquement et quitté leurs fonctions après avoir exercé leur mandat pendant la durée fixée par la constitution de leur pays. Une denrée plutôt rare en ce moment n’est-ce pas? Nous avons délibérément placé la barre très haut lors de la création de ce Prix en 2006. Il vise à mettre en exergue les dirigeants qui ont démontré un leadership véritablement exceptionnel, ce qui, par définition, est rare. Depuis sa création, le prix Ibrahim a été remis à quatre anciens Leaders du Mozambique, Botswana, Cap-Vert et Namibie.Aussi. Nous n’avons pas de lauréat pour l’année 2016.

Vous n’avez jamais primé de dirigeants de pays francophones, qui représentent pourtant plus de la moitié du nombre d’états africains, est-ce un hasard ?   Il faut souligner que les deux pays ayant enregistré la plus forte progression en termes de gouvernance au cours de la dernière décennie sont la Cote-d’Ivoire et le Togo, deux pays francophones.

Je ne crois pas que la corruption soit absolument nécessaire

La corruption est un sujet qui vous est cher. En France, le sujet fait l’actualité toutes les semaines. Un candidat très sérieux vient de se faire offrir deux magnifiques costumes pour 50.000 euros par une figure de la « Françafrique ». Est-ce que cela vous surprend ? Non .

Au delà de la corruption à grande échelle, ne craignez-vous pas cette corruption ordinaire soit dommageable et nuise aux relations entre la France et des pays africains ? Je ne vais pas citer de noms, mais pour chaque dirigeant africain corrompu, il y a des dizaines de corrupteurs. On parle toujours des premiers, mais rarement des seconds. On ne braque jamais les projecteurs sur les hommes d’affaires. Or, il faut être deux pour danser le tango. L’argent et la politique font un mélange explosif.  Le problème c’est que nous avons été trop complaisants pendant très longtemps. Cette complaisance est dangereuse. Si on ne fait pas attention, les gens perdent confiance. Nous avons besoin d’améliorer nos manières de faire. Si les gens perdent foi, alors c’est mauvais pour tout le monde. Les Anglais ont voté le Brexit non pas parce qu’ils adhéraient au plan, à la vision, mais par rejet, c’est un vote de contestation. C’est toujours par rejet que les dictateurs prennent le pouvoir. L’histoire se répète.

Vous-mêmes avez été un homme d’affaires renommé. N’êtes-vous pas la preuve vivante qu’il est possible de réussir en Afrique sans corrompre ? Oui.

Vous avez créé une société de Telecom sans distribuer un seul pot-de-vin en Afrique, n’est-ce pas ? Oui. Je ne crois pas que la corruption soit absolument nécessaire vous savez. Nous avons eu des problèmes dans un seul pays. Nous leur avons rendu leur licence. Nous avons travaillé dans les 53 autres pays. J’ai côtoyé de nombreux gouvernements qui étaient ravis que nous soyons « propres » et faisaient tout pour nous aider. Ne perdons pas la foi en l’être humain. Tous ne sont pas des criminels, il y a des personnes bien. Si vous vous comportez de manière décente. Comme dans une entreprise, si vous vous comportez bien, cela finit toujours par payer.

Si vous avez un bon patron ! Absolument ! (RIRES)

La fondation Mo Ibrahim célèbre son dixième anniversaire à Marrakech du 6 au 9 avril 2017, à l’occasion de son “Ibrahim Governance Week-End” en présence de l’ancien secrétaire des Nations Unies Koffi Annan; du chanteur Bono; du PDG de Dangote Group, Aliko Dangote; de Jean-Marie Guéhénno, PdG de l’international Crisis Group et nombreuses personnalités.

 

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