OMS: La dure mission du premier DG africain

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Le nouveau directeur de l’OMS a un mandat sans précédent des PVD
Tedros peut s’en servir pour lever des fonds pour une organisation en difficulté. Selon des experts, il devrait aussi inciter les PVD à investir dans la capacité scientifique. Fin mai, l’Assemblée mondiale de la Santé a, pour la première fois de son histoire, élu un Africain pour être le prochain directeur général (DG) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Tedros Adhanom Ghebreyesus, un Ethiopien, sera également le premier directeur de l’OMS originaire d’un pays en développement depuis plus de 45 ans – depuis la démission, en 1973, du Brésilien Marcolino Candau. Tedros, comme il aime se faire appeler, bénéficie d’un solide soutien parmi les pays en développement. Pour la première fois dans les 70 ans d’histoire de l’OMS, chacun des 194 pays membres qui composent son Assemblée a été autorisé à voter – dans le passé, seuls les 34 membres du conseil exécutif avaient ce privilège. Tedros a battu son dernier adversaire, le Britannique David Nabarro, par un score de 133 voix contre 50 – des chiffres qui suggèrent qu’une proportion importante des pays du Sud ont voté pour l’ancien ministre éthiopien de la Santé. En conséquence, lorsque Tedros succédera à Margaret Chan le 1er juillet, il aura un mandat sans précédent des pays ayant les problèmes de santé les plus urgents au monde. Le fardeau de nouvelles maladies redoutables comme Ebola, le VIH/Sida ou la tuberculose est beaucoup plus lourd dans les pays en développement que dans les pays développés ; à cela s’ajoute la montée en flèche des maladies non transmissibles comme le cancer et le diabète.

Besoin urgent d’argent
Selon les experts en santé mondiale, le financement sera en tête de ses priorités. Gavin Yamey, enseignant à l’Institut mondial de la santé de l’Université de Duke aux États-Unis, affirme que, de toute urgence, Tedros devra utiliser ce mandat unique pour tenter de mobiliser des fonds supplémentaires pour l’OMS après des années de diminution de la contribution des États membres. “L’OMS a été prise à défaut dans sa lente et faible réponse à l’épidémie d’Ebola, mais à bien des égards, nous sommes tous responsables parce que nous, en tant que communauté mondiale, l’avons privée de financements de base dont elle a besoin”, déclare Gavin Yamey.
L’universitaire a été l’auteur principal d’un article publié ce mois dans la revue The Lancet, appelant les ministres de la santé à renforcer leur soutien aux programmes de l’OMS pour étouffer les épidémies et autres crises sanitaires récurrentes. “Un scientifique avec une vaste expérience de la recherche en Afrique peut aider à guider l’OMS dans le sens de répondre aux besoins des… chercheurs en première ligne”. Il estime qu’il existe un “optimisme prudent” au sujet de la capacité de Tedros à revitaliser l’OMS.
Cet optimisme est nourri, d’une part, par la manière rassurante dont il a géré le processus électoral transparent et, d’autre part, ses “habiles compétences politiques sur la scène mondiale.”
D’autres ne sont pas si sûrs que l’influence de Tedros sera suffisante pour revigorer la base de financement de l’OMS.
Le plus grand bailleur de fonds de l’organisation, le gouvernement des États-Unis, cherche à réduire son soutien aux programmes internationaux de santé et cela pourrait se réaliser si l’administration du président Donald Trump réussit à faire passer les prochains budgets fédéraux. “Je pense que le nouveau DG sera bloqué dans les négociations difficiles dès le premier jour”, a déclaré sous anonymat un expert africain en santé.

Dérives de la mission
Un autre défi pour Tedros est de savoir comment transformer l’OMS en une organisation adaptée aux réalités du XXIe siècle.
À sa création en 1948, elle était le seul organisme de santé doté d’un mandat mondial. Aujourd’hui, il existe de nombreux autres acteurs sur le terrain, allant des organismes de bienfaisance comme la Fondation Bill & Melinda Gates – le deuxième plus grand contributeur au budget de l’OMS – à des instruments inter-gouvernementaux comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. L’OMS est handicapée par une bureaucratie lourde et coûteuse, avec un siège à Genève et des bureaux régionaux à travers le monde. L’année dernière, l’organisation aurait dépensé davantage en frais de transport et d’hôtels que sur le SIDA, le paludisme et la tuberculose combinés
En outre, sa mission s’est diversifiée au fil des décennies, passant par des questions liées aux maladies infectieuses à la sécurité chimique, la sécurité routière et le vieillissement. Un rapport du Royal Institute of International Affairs [plus connu sous le nom de Chatham House] datant de 2014 a exhorté l’OMS à maîtriser les changements d’orientation de sa mission et à rationaliser ses opérations. Sur tout un autre plan, Gavin Yamey a déclaré que le bilan de Tedros en matière de réforme du système de santé éthiopien, alors qu’il occupait le poste de ministre de la Santé, en dit long sur sa capacité à présider aux changements de systèmes : “il assure.”
Selon des chiffres de l’OMS, pendant son mandat, entre 2005 et 2012, Tedros a créé 3.500 nouveaux centres de santé, ainsi que 16.000 postes de santé dans le pays et augmenté le nombre de personnes couvertes par le système de santé. L’OMS souligne également que l’Éthiopie a enregistré une baisse “remarquable” de la mortalité infantile, atteignant l’objectif de développement du millénaire d’une réduction de deux tiers environ, deux ans avant l’échéance.

Expérience sur le terrain
Ses antécédents de biologiste moléculaire et de spécialiste du paludisme pourraient permettre à Tedros d’utiliser ses nouvelles fonctions pour convaincre les acteurs mondiaux de la santé de l’importance de construire et de faire appel à l’expertise scientifique locale face aux crises sanitaires. “Un DG de l’OMS qui est un scientifique possédant une vaste expérience en matière de recherche sur le terrain en Afrique peut aider à guider l’OMS dans la recherche de réponses aux priorités de ces chercheurs en première ligne en Afrique et dans le monde”, a pour sa part déclaré Nina Dudnik, fondatrice et directrice de l’initiative Seeding Labs, qui recueille des équipements de recherche dans les institutions des pays du Nord et les place dans les laboratoires du monde en développement. Plus important encore, il pourrait utiliser son influence pour faire comprendre aux pays en développement la nécessité d’investir dans leurs propres systèmes de santé et leur capacité en matière de recherche en santé publique et lever des fonds à cette fin, assure Bassirou Bonfoh, directeur général du Centre suisse de Recherches scientifiques en Côte d’Ivoire. La nécessité d’une telle capacité est apparue lors de l’épidémie d’Ebola en 2014 en Afrique de l’Ouest, alors qu’une pénurie d’agents de santé sur le terrain a contribué à la reconnaissance tardive de la gravité de l’épidémie et a freiné les efforts de confinement des personnes atteintes. Ces investissements devraient-ils s’aligner sur des priorités plus élargies en matière de santé publique et de financement ?Un rapport de l’OMS datant de 2007 suggère que cela contribuerait à maximiser le bénéfice du financement international à travers des organisations comme l’OMS, en accélérant leur travail et en faisant en sorte que les gains en matière de santé ne disparaissent pas avec le départ des agents internationaux. Cela amortirait également l’impact des crises sanitaires futures, qui pourraient se révéler pires que les crises antérieures, du fait de la réduction de l’aide internationale, si Tedros ne parvenait pas à mobiliser des ressources additionnelles.

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