Gestion des fonds Covid-19

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Le rapport d’audit du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales de la Chambre des comptes a été publié le 16 novembre 2021. On y apprend qu’il a été adopté le 4 juin 2021, « à l’issue de sa délibération en Chambre du Conseil ». On constate donc que le rapport était déjà prêt lorsque sa présentation à l’Assemblée nationale, annoncée pour le 25 juin, est annulée à la dernière minute. Par ailleurs, ce document de 171 pages confirme toutes les malversations préalablement révélées par un pré-rapport qui a fuité sur les réseaux sociaux, en mai dernier. Il en rajoute d’ailleurs une couche sur le favoritisme, les conflits d’intérêts et les nombreuses entorses à la réglementation, qui ont émaillé la gestion des fonds Covid-19 au Cameroun. Extrait.

Une surfacturation de 15,3 milliards FCFA sur les tests Covid-19

« En conclusion sur ce point, la société chargée des opérations d’importation de 1 400 000 tests était inexpérimentée et a surfacturé à hauteur de 15 374 000 000 FCFA en 2020, avec l’aval des responsables du Minsanté (ministère de la Santé publique) », indique le rapport de la Chambre des comptes, qui précise que « la juridiction financière relève que ces sommes ont bénéficié aux deux entités Mediline Medical Cameroon SA et l’intermédiaire Moda Holding Hong Kong, lesquelles apparaissent étroitement liées ». Selon des documents de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), cette entreprise, contrôlée par le milliardaire camerounais Mohamadou Dabo, a reçu des paiements alors qu’elle n’était pas le fournisseur des tests.

Enfin, souligne le rapport, cité par Investir au Cameroun, « bien qu’il ne soit pas signataire des marchés d’acquisition des tests de dépistage, et eu égard aux montants en jeu, il est peu vraisemblable que le ministre de la Santé publique ait pu être tenu dans l’ignorance et à l’écart des manœuvres tendant à facturer les tests de dépistage à un prix déconnecté de la réalité du marché ». Mieux, des documents de la Beac indiquent que le ministre Manaouda Malachie est intervenu auprès de la Banque centrale, au moins une fois, pour tenter d’accélérer les transferts d’argent à effectuer au profit de Moda Holding Hong Kong, relativement à la fourniture des tests Covid-19 surfacturés.

Des comprimés finalement importés, à la suite d’une offre de production locale

Sur ce volet, le rapport de la Chambre des comptes de la Cour suprême révèle qu’« en réalité, l’IMPM (Institut de recherches médicales et d’études des plantes médicinales) était en négociation avec un importateur pour acheter en Inde des comprimés d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, plusieurs semaines avant la décision du ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, approuvant la proposition du Minresi (ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation) de se lancer dans la fabrication locale de ces médicaments ».

En appui à ce constat, le document cite une lettre adressée le 19 mars 2020 par le transitaire Incredible India Import & Export, au directeur général de l’IMPM, le Pr Jean Louis Essame Oyono. Cette correspondance fait le point sur la livraison au Cameroun d’hydroxychloroquine et d’azithromycine ainsi que d’intrants visant à la fabrication de ces deux médicaments. « Grâce à l’intervention personnelle des autorités indiennes, et compte tenu des liens bilatéraux d’amitié étroits entre nos deux pays, les laboratoires indiens, fabricants des produits précités, ont volontiers accepté de placer le Cameroun dans leur liste prioritaire de bénéficiaires. Nous devrions donc nous attendre à la livraison de ces produits dans un délai raisonnable », lit-on dans la lettre.

Par la suite, apprend-on du rapport sur la gestion des fonds Covid-19, « le 29 juillet 2020, l’IMPM a reçu par DHL une livraison de cinq millions de comprimés d’hydroxychloroquine, cinq cent mille comprimés d’azithromycine et des intrants d’azithromycine (12 fûts de 25 kg chacun), pour un montant de 601 300 000 FCFA ». Et le rapport de poursuivre : « Si la commande d’hydroxychloroquine et d’azithromycine portait sur des comprimés en vrac, la Chambre des comptes a pu établir que ces médicaments ont été livrés déjà conditionnés. L’IMPM a décidé de reconditionner ces médicaments dans de nouveaux emballages. Cette opération a coûté 9 356 000 FCFA, correspondant à la confection de 45 000 boîtes d’hydroxychloroquine et 5000 boîtes d’azithromycine par la société Ets Pierre et les Anges ».

Un ministre vend des tests de dépistage à l’Etat

« Par ordre de virement n° 038/20/L/Minsante/Covid-19 du 11 mai 2020, l’ordonnateur du compte BGFI Minsante-Riposte Covid-19 a réglé la somme de 288 000 000 FCFA au profit du ministère de l’Administration territoriale sur un compte ad hoc, dont la Chambre des comptes ignore l’identité du titulaire, pour l’achat de 15 000 tests de dépistage rapide Covid-19. Le compte BGFI a été effectivement débité de cette somme le 14 mai 2020. Le ministre de l’Administration territoriale a reversé cette somme dans le compte BGFI du Minsante le 2 juin 2020 “sur instruction du Premier ministre, Chef du gouvernement”, selon le point focal Covid-19 du Minsanté, cosignataire dudit compte », révèle la juridiction financière.

Cependant, apprend-on, « dans le livre journal-banque du Minsante, cette opération de paiement n’a pas été annulée ». Aussi, la Chambre des comptes conclut-elle qu’« en l’absence de prise en compte du reversement dans le livre journal-banque du Minsante, il subsiste un risque que la somme de 288 000 000 FCFA fasse l’objet d’une appropriation privée […] Au vu de ces constatations, la Chambre des comptes souligne l’opacité entretenue par le ministre de l’Administration territoriale (Paul Atanga Nji) et le ministre de la Santé publique (Manaouda Malachie) dans la gestion de cette transaction controversée, alors que subsiste un risque de distraction de cette somme ».

Un stock de médicaments de 536 millions FCFA porté disparu

« Aucune information sur la gestion des stocks de ces médicaments n’a été mise à la disposition de la Chambre des comptes. Ces médicaments n’ont pas été pris en charge par le comptable-matières, et personne au Minsanté n’a été en mesure de dire où ils sont stockés aujourd’hui. En outre, aucune information relative aux paiements de ces trois marchés, pour 536 443 636 FCFA, n’est retracée dans la comptabilité du payeur spécialisé auprès du Minsanté, ni dans le compte d’emploi des paiements en numéraire du Minsanté pour 2020 », indique le rapport qui conclut : « Compte tenu de ces éléments, et en particulier de l’incapacité des responsables du Minsanté à identifier leur lieu de stockage, la Chambre estime que ces médicaments sont soit détournés au profit de personnes privées, soit qu’ils ont fait l’objet d’une livraison fictive ».

Quand « les marchés spéciaux » font le lit des entorses à la réglementation

« En l’absence d’enregistrement par le comptable-matières, les biens achetés ne sont pas pris en charge dans ses livres comme appartenant au patrimoine de l’État ou à ses stocks et peuvent donc être facilement détournés. Telle a été la situation en 2020 pour un grand nombre des biens achetés par la procédure des marchés spéciaux », soutient le rapport de la Chambre des comptes.

Une longue énumération des biens étatiques dans cette situation est ensuite faite. On y retrouve notamment les stocks d’hydroxychloroquine, d’azithromycine et d’intrants pour fabriquer l’azithromycine, achetés par le Minresi, à hauteur de plus de 600 millions FCFA ; les stocks de tests de dépistage à hauteur de 25,8 milliards FCFA ; les stocks d’équipements de protection individuelle pour 26,7 milliards FCFA ; les équipements médicaux réceptionnés par l’administration centrale (25 marchés spéciaux, 18 lettres de commande spéciales et 6 bons de commande administratifs ayant fait l’objet de procès-verbaux de réception, pour un total de 5,6 milliards FCFA, etc.).

Opportunisme et conflit d’intérêts dans l’attribution des contrats

À partir des extraits d’immatriculation de certains prestataires au registre du commerce, la Chambre des comptes révèle que des entreprises ont été créées à la faveur du plan de riposte, ou réactivées pour les besoins de la cause. C’est le cas des Proof Consulting Group, Technologie médicale du Cameroun ou encore New Pharma Sarl. 35 à 40 jours après leur immatriculation, ces trois entreprises ont gagné des contrats dans la riposte contre le Covid-19, pour un montant cumulé de près de 700 millions FCFA.

Par ailleurs, apprend-on, certains contrats ont été attribués « sur fond de conflit d’intérêts ». Il en est ainsi, selon le rapport de la Chambre des comptes, « de trois entreprises (Ets Aboa Perspective, Ets ABS Motors et Phase Engeneering Cameroon SA), qui ont été attributaires de 06 marchés d’un montant total de 1 620 834 039 FCFA, et dont le gérant est le frère cadet du président du groupe de travail intervenant dans le processus d’attribution des marchés » au ministère de la Santé publique.

1,2 milliard FCFA de travaux inachevés, mais payés intégralement

« Au total, la Chambre constate que les marchés spéciaux n° 029, 035 et 022 ont été réceptionnés et payés entre avril et octobre 2020 pour un montant total TTC de 1 255 274 772 FCFA, alors que les prestations étaient inachevées à la date du 21 décembre 2020 », apprend-on. Il s’agit notamment des travaux de construction d’un poste de santé aux frontières de l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, des travaux de réhabilitation du pavillon de neurologie de l’hôpital central de Yaoundé (lot 2) et des travaux de réhabilitation/extension du pavillon Lagarde de l’hôpital central de Yaoundé (lot 1).

Un paiement de 15 milliards FCFA de restes à payer à problème

« Le ministère des Finances a consacré 15 000 000 000 FCFA au règlement de restes à payer dans les postes comptables. Il indique que “ces dépenses ont bénéficié des appuis budgétaires (COVID) à hauteur de 15 000 000 000 FCFA”, c’est-à-dire de financements des partenaires techniques et financiers (PTF). […] Les comptables publics interrogés par la Chambre ont estimé que les ressources allouées étaient destinées au règlement ordinaire des dépenses de leur circonscription, et non pas inscrites dans la logique gouvernementale de mesures spéciales de lutte contre la Covid-19 et ses conséquences économiques, sociales et financières. Pour sa part, la Chambre des Comptes n’a pas été en mesure d’identifier une diminution du stock des restes à payer des postes comptables. »

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